En 2013 soit 200 ans après la promulgation de l’article 1134 du code civil, la cour de cassation continue de juger les rapports entre salariés et employeurs sous l’angle de la bonne ou mauvaise foi contractuelle.
L’article 1134 du code civil dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. ».
L’article L1222-1 du code du travail son corollaire en droit du travail dispose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».
Deux thèmes récurrents émergent des décisions de la chambre sociale les plus récentes : celles plus spécifiques à la rémunération du salarié (I) et celles statuant sur l’exécution ou la fin de contrat du salarié (II) qui fera l’objet d’un article prochainement mis en ligne.
Examinons les décisions récentes rendues par la cour de cassation au visa de l’article 1134 du code civil :
– Lors du congé sans solde du salarié : (Cass. Soc. 25 septembre 2013 n°12-14157):
Un salarié chef d’équipe coordinateur affecté sur la zone aéroportuaire de Roissy Charles-de-Gaulle s’étant vu refuser le renouvellement de son titre d’accès aéroportuaire par décision préfectorale ne pouvait plus accéder à son poste de travail. Placé en congé pour convenance personnelle par son employeur, il fait l’objet d’un licenciement qu’il conteste et sollicite entre autre le règlement des salaires durant son congé sans solde.
La Cour de cassation lui donne raison en considérant d’une part qu’aucun fondement juridique de la décision de placer le salarié en congé sans solde n’avait été justifié et qu’il n’était pas établi que le salarié avait bien donné son accord en vue de ce congé, celui-ci soutenant par ailleurs s’être tenu à la disposition de l’employeur.
– La primauté du contrat de travail (Cass. Soc. 25 septembre 2013 n°11-25942) :
Un salarié Responsable d’unité sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour non-paiement de ses salaires. Licencié pour faute grave , il conteste son licenciement et est débouté aux motifs qu’il se serait comporté en gérant de fait dès la création de l’entreprise ce qui serait confirmé par plusieurs témoins et qu’il aurait réclamé tardivement le paiement de ses salaires.
Considérant que la preuve d’une immixtion du salarié dans la gestion sociale de la société n’était pas rapportée, la Cour de cassation rappelle que le salarié se prévalait d’un contrat de travail élément essentiel de la relation contractuelle pour considérer que la Cour d’appel aurait violé les dispositions des articles 1134 du code civil et 1121-1 du code du travail.
– Requalification d’un CDD en CDI la présomption de bonne foi du salarié (Cass. Soc. 25 juin 2013 n°: 11-22646) :
Un salarié engagé comme chef opérateur pour France Télévision par une succession de contrats de travail à durée déterminée à temps partiel sollicite la requalification de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Il est débouté en appel au motif que durant ses périodes non travaillées il a touché le chômage, l’ensemble de ses revenus étant supérieurs aux montants qu’il aurait perçus dans le cadre d’un travail à temps complet.
Il obtient gain de cause en cassation, la Cour considérant « que la perception d’indemnités de chômage n’exclut pas à elle seule que le salarié ne se tienne pas à la disposition de l’employeur ».
– Inégalité de traitement : la requalification d’un remboursement de frais en prime salariale (Cass. Soc. 25 septembre 2013 n°: 12-13055) :
Plusieurs salariés d’une entreprise métallurgique demandent aux juges de requalifier l’indemnité de transport et de panier perçues par d’autres salariés de l’entreprise en compléments de salaire au lieu de remboursements de frais professionnels et sollicitent entre autre des rappels de salaire en conséquence.
Déboutés par la Cour d’appel, la Cour de cassation leur donne raison en considérant qu’il résulte de la convention collective et de l’usage d’entreprise que l’indemnité de panier et l’indemnité de transport « compensent une sujétion particulière de l’emploi et présentent un caractère forfaitaire, de sorte qu’elles ne correspondent pas à un remboursement de frais mais constituent un complément de salaire ».
– La prime mentionnée dans la lettre d’embauche est contractuelle (Cass. Soc. 19 septembre 2013 n°: 12-20852 ) :
Mentionnée dans la lettre d’embauche d’un salarié, une prime exceptionnelle est postérieurement à la signature de la lettre d’embauche dénoncée par l’employeur comme un usage d’entreprise. L’employeur cesse alors de verser cette prime exceptionnelle au salarié qui saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de cette prime.
Pour rejeter la demande du salarié, la Cour d’appel considère que les parties ont fait évoluer leur accord et que le contrat de travail ne ferait pas référence à la prime exceptionnelle qui ne serait pas pour la cour un élément contractuel de la rémunération du salarié.
Raisonnement contredit par la Cour de cassation au motif que l’employeur s’est engagé dans la lettre d’embauche à verser une prime exceptionnelle et que « le seul défaut d’énonciation de cet engagement dans le contrat de travail, lequel ne comportait pas de stipulations incompatibles, ne pouvait le remettre en cause ».
– En matière de paiement des commissions ou primes d’objectif (Cass. Soc. 18 septembre 2013 n° 12-17156) :
Engagé comme Directeur d’agence un salarié saisi la juridiction prud’homale de demandes de paiement de rappels de commissions sur 4 années antérieures et de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur.
La Cour d’appel le déboute en considérant qu’il aurait perçu le montant des commissions fixées dans son contrat de travail et que sa demande s’appuierait en réalité « sur sa contestation systématique des avenants successifs nécessaires au versement de ces commissions ».
Peine perdue, la Cour de cassation très attentive au respect des droits du salarié à ses commissions (lire http://www.village-justice.com/articles/Salaries-sachez-obtenir-paiement-votre,12888.html http://www.juritravail.com/maitre-bouhana-bes-avocats-judith/Actualite/primes-avantage/Id/18769 ) rappelle qu’il appartient au juge en cas de contestation sur les commissions dues de déterminer le taux applicable à leur calcul « en fonction notamment des éléments qu’il peut trouver dans le contrat et des accords expressément ou implicitement conclus entre les parties les années précédentes».
Dans cette affaire, les juges auraient dû selon la Cour de cassation prendre en compte notamment l’avenant de 2006 dont les parties admettaient l’application pour déterminer le mode de calcul de la rémunération variable du salarié pour les années 2007 à 2009.
-Lors d’un rappel de frais professionnels ( Cass. Soc. 18 septembre 2013 n° 12-17200 ) :
26 salariés à temps partiels exerçant leur activités dans une société de distributeurs de journaux et de documents publicitaires saisissent la juridiction prud’homale notamment de rappels de frais professionnels dans le cadre d’une demande de requalification de leur contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.
Pour les débouter de leur demande de rappels de frais professionnels, la Cour d’appel considère que l’employeur a fait une stricte application de la convention collective et n’a pas commis d’erreur dans l’établissement du décompte de frais.
C’était sans compter sur le rappel fait par la Cour de cassation de la primauté des règles d’ordre public du code du travail sur la convention collective dont l’application est ici défavorable au salarié :
« Attendu que les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur, doivent être remboursés sans qu’il ne puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu’il n’ait été contractuellement prévu qu’il en conserverait la charge moyennant le versement d’une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire et à la condition, d’une part, que cette somme forfaitaire ne soit pas manifestement disproportionnée au regard du montant réel des frais engagés, et, d’autre part, que la rémunération proprement dite du travail reste au moins égale au SMIC ».
Tel n’était pas le cas en l’espèce où l’application de la convention collective certes sans erreur de l’employeur aboutissait à rendre la rémunération du salarié inférieure au SMIC.