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La liberté d’expression du salarié dans l’entreprise en 2013

Très encadrée par le législateur (articles L1121-1, L 2281-1 du code du travail, article 9 du Code civil etc…), la protection de la liberté d’expression est garantie par les juges qui en sanctionnent les abus et assurent son adaptation à l’évolution de la société et de ses modes de communication.

En 2013 c’est la tolérance des juges à l’égard d’un langage jugé hier injurieux, mais aujourd’hui apprécié différemment dans un contexte professionnel spécifique, et les nouvelles problématiques des communications électroniques des salariés qui marquent notre attention.

Les principes de base sont inchangés : le salarié bénéficie d’une liberté d’expression dans sa vie professionnelle sous réserve de ne pas en abuser. L’employeur peut restreindre cette liberté dans la mesure où cela est justifié par la tâche à accomplir et proportionné au but recherché.

Examinons d’abord les limites de la liberté d’expression en fonction du langage utilisé par le salarié :

Pour être jugés abusifs les propos doivent être injurieux, diffamatoire ou excessif ( Cour de Cassation chambre sociale 7 mars 2013 n°11-19 734). La frontière est néanmoins évolutive selon le contexte professionnel.

La différence avec les années précédentes tient à la particulière souplesse des juges à l’égard du salarié selon le contexte professionnel (arrêt du 27 février 2013 Cour de Cassation chambre sociale n° 11-27 474 – précédent : 29 février 2012 chambre sociale n° 10-15 043) :

Un salarié déjà sanctionné pour ses propos injurieux est licencié pour faute grave pour le même motif (propos incontestablement injurieux lors d’une réunion du comité d’entreprise).

Néanmoins, la Cour de Cassation approuve la cour d’appel d’avoir constaté que ce salarié disposant de 20 ans d’ancienneté dans l’entreprise « avait tenu, au cours de la réunion du comité d’entreprise du … 2009, les propos qui lui étaient reprochés dans un contexte de vive tension opposant les représentants du personnel et la direction ; qu’elle a pu en déduire que ce comportement ne rendait pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, et ne constituait pas une faute grave ».

De même pour les juges du fond : (cour d’appel de Rennes 7ème Chambre Prud’hommes No Répertoire général : 11/06623 13 février 2013) en faveur d’une salariée dont les propos tenus à l’encontre de son employeur n’ont pas été reconnus abusifs car la cour d’appel a tenu compte de 3 éléments :

– du contexte de licenciement collectif pour motif économique dans lequel la salariée s’exprimait
– du fait que ses propos ont été tenus à l’intérieur de l’entreprise
– lors d’un entretien sollicité par l’employeur

Sur le fondement de l’article L 2281-1 du code du travail et du droit du salarié d’exprimer son opinion sur ses conditions d’exercice, et bien que constatant que les propos de la salariée ont sans doute été excessifs, la cour en conclue, que « dans ce contexte, Madame X… n’a fait qu’user de son droit à la liberté d’expression ».


Analysons ensuite quelles sont les limites de la liberté d’expression du salarié en fonction des moyens de communication utilisés :

courriels, clefs USB, Facebook, Tweeter, etc…., les juges protègent la vie privée et la communication personnelle du salarié dans l’entreprise à la condition que le salarié ait pris toutes les mesures pour conserver à sa communication son caractère personnel :

-La communication électronique du salarié : le salarié doit identifier ses fichiers et courriels comme personnels (précédent : Cour de Cassation chambre sociale 26 janvier 2012 pourvoi numéro 11-10-189)

Dans une récente décision du 19 juin 2013 (Cour de Cassation chambre sociale numéro de pourvoi 12-1238), le salarié avait intégré dans le disque dur de son ordinateur professionnel des messages qu’il avait reçus de sa messagerie personnelle sans précisément les identifier comme personnel.
La Cour de Cassation considère qu’à défaut d’avoir été identifiés comme personnels les messages qui émanent de la messagerie personnelle du salarié et qui sont intégrés dans l’ordinateur professionnel perdent leur caractère privé et deviennent professionnels.

– Les informations contenues dans la clé USB personnelle du salarié connecté à l’ordinateur professionnel sont présumées professionnelles.

Les informations confidentielles enregistrées par une salariée sur sa clé USB personnelle connectée à son ordinateur professionnel perdent tout leur caractère personnel et peuvent être utilisées par l’employeur pour sanctionner le salarié (Cour de Cassation chambre sociale arrêt du 12 février 2013 pourvoi numéro 11-28 649).

– Facebook et MSN : les messages restent personnels si le salarié en a limité l’accès (Cour de Cassation 1e civile 10 avril 2013 pourvoi numéro 11-19530 – cour d’appel de Lyon Chambre sociale A 13 mars 2013 No Répertoire général : 12/05390)
Les communications sont considérées comme privées ou publiques en fonction des paramétrages effectués par le salarié utilisateur sur sa page Facebook (cour d’appel de Rouen chambre sociale arrêt du 15 novembre 2011).

Si le salarié justifie qu’il a limité l’accessibilité de sa communication sur Facebook MSN aux seules personnes qu’il a agréées, ses propos restent d’ordre privé (1e chambre civile 10 avril 2013 pourvoi numéro 11-19 530 à propos d’une salarié assignée par son ancien l’employeur pour le contenu de sa page Facebook et sur MSN).

Tel n’est pas le cas du salarié licencié pour faute lourde par son employeur suite au contenu de la page personnelle Facebook du salarié mis en ligne accessible depuis un moteur de recherche Google.

2 éléments sont retenus par les juges du fond : un accès non restreint « confidentialité des échanges non limités » rendant le contenu public et non d’ordre privé, et un abus du droit d’expression «propos dénigrant qui dépassent le cadre normal de la liberté d’expression » :

Textes fondateurs en droit du travail :
Article L 1121-1 du code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »
Article L2281-1 du code du travail : « Les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. »

et en droit civil outre la déclaration des droits de l’homme : Article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. »

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