A partir de quand une discussion sur Facebook devient-elle publique, mettant un salarié face au risque d’être licencié pour faute grave s’il tient des propos injurieux sur son entreprise ?
Le 12 septembre, la cour de cassation a rendu un arrêt dans lequel elle confirme la position de la cour d’appel dans le cas d’un salarié licencié pour faute grave pour avoir injurié son entreprise et ses dirigeants sur son mur Facebook. Selon cet arrêt, ces propos tenus par le salarié en question “demeurent privés lorsque ceux-ci ne sont accessibles qu’à des personnes agréées et fort peu nombreuses, 14 personnes en l’espèce.” Ainsi, un licenciement pour faute grave n’est pas valide dans un tel cas de figure. Où placer le curseur ? Décryptage avec Judith Bouhana, avocate spécialiste en droit du travail.
La jurisprudence s’est penchée plusieurs fois sur Facebook comme motif de licenciement, que dit-elle ?
Elle demeure la même qu’en 2013, dans une affaire similaire : si des propos injurieux font partie d’une page Facebook dont le paramétrage limite l’accès à certains, ils peuvent rester dans le domaine privé, et l’employeur ne peut pas s’en servir pour justifier un licenciement. Mais comme le dit la cour de cassation, “la frontière entre le public et le privé est à chercher dans le paramétrage du compte du salarié.”
Sur Facebook, vous avez les moyens de rendre une conversation privée, en la paramétrant. La cour de cassation dit donc clairement que si le salarié ne laisse la lecture de ses propos accessible qu’à certaines personnes agréées, ces propos restent du domaine privé… à la condition qu’elles soient peu nombreuses. En effet, si une conversation Facebook est paramétrée, mais qu’elle donne accès à de trop nombreuses personnes, on sort du domaine privé.
On sait suite à l’arrêt de la cour qu’une discussion en ligne avec 14 personnes demeure du domaine du privé, car leur nombre est considéré comme peu élevé. Mais la jurisprudence se fait arrêt après arrêt…
Paramétrer la confidentialité de son compte, est-ce suffisant pour éviter une telle situation ?
Pour l’instant oui, car les cas les plus fréquents où l’entreprise a gagné sont ceux où le salarié n’avait pas paramétré son compte Facebook pour limiter l’accès de ses propos, et a tenu des termes diffamatoires et excessifs. Un salarié a parfaitement le droit de critiquer son entreprise, mais à condition que ce droit ne dégénère pas en propos injurieux. On parle d’abus du droit à la liberté d’expression.
Si le salarié tient des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, mais dans un cadre strictement privé, chez lui ou avec des amis, cela reste du domaine privé. Mais Facebook est une plateforme qui comporte à la fois une partie privée (paramétrage et limitation d’accès) et une partie publique. À partir du moment où il y a un paramétrage et où l’accès est autorisé à peu de personnes, on ne peut pas lui reprocher d’avoir tenu de tels propos, puisqu’il les tient dans un cadre dit privé. Mais s’il paramètre ses discussions et que son paramétrage laisse l’accès a trop d’amis, cela devient public : il s’agit alors d’un paramétrage qui n’en est plus un.
Si vous avez l’intention de dépasser la liberté d’expression, vous avez intérêt à paramétrer suffisamment votre compte, en utilisant les réseaux sociaux avec discernement (donc en vous renseignant sur les façons de bien paramétrer votre compte), afin que les propos tenus soient circonscrits à un nombre limité d’amis. Il y a une juste limite entre 14 et 179 amis.
Les cas de licenciements liés à des statuts Facebook sont-ils fréquents ? Est-ce une tendance ?
Pour l’instant, de tels arrêts ne sont pas fréquents. En revanche, il faut faire très attention à l’abus de la liberté d’expression, car les propos que vous tenez, par courriels ou verbaux, peuvent être jugés abusifs. Même des propos tenus dans un restaurant ou dans le métro peuvent être considérés comme abusifs, si l’un de vos collègues ou de vos dirigeants vous entend.
En général, toutefois, il faut que vos injures soient réitérées. Mais pour les cadres, en revanche, la prudence est de mise. Car si la liberté d’expression nous protège tous, les cadres dirigeants ont un devoir de discrétion plus marqué que les autres. Il n’est pas toléré que ces derniers puissent attaquer directement leur entreprise.
Même dans une conservation privée, et même si les propos sont pas injurieux, un cadre risque beaucoup plus facilement d’être licencié pour causes réelles et sérieuses (avoir manqué à son devoir de réserve et de discrétion). Dans le cas où il profère des injures, il pourra évidemment être licencié pour faute grave. En tout état de cause, que vous soyez cadre ou non, faites bien attention aux propos que vous tenez dans l’espace public – qu’il s’agisse du métro, d’un restaurant, d’un journal papier, ou d’un réseau social.
interview réalisé par Fabien Soyez, Journaliste Web et Community Manager