Samedi 2 décembre, le ministre de l’Économie et du Budget Bruno Le Maire a proposé de réduire d’un an à deux mois le délai dans lequel un salarié peut contester son licenciement. Quels seraient les enjeux d’une telle réforme ? Quels effets en matière contentieuse ? Les avocats pourront-ils assurer correctement la défense des salariés ? Tour d’horizon de quelques enjeux et questions de droit.
Les nuages s’amoncellent au-dessus des salariés. Après la remise en cause des ruptures conventionnelles par Elisabeth Borne, la sortie de Bruno Le Maire sur l’indemnisation des chômeurs seniors, voici venir une réduction du délai permettant à un salarié de contester son licenciement (lire notre brève). Cette annonce pourrait trouver asile dans un projet de loi Pacte II début 2024. Revenons sur le principe de ce délai de prescription et sur les questions que poserait sa réduction.
Le principe : un délai de prescription de 12 mois
Selon l’article L. 1471-1 du code du travail, toute action relative à la rupture du contrat de travail se prescrit en douze mois à compter de la notification de la rupture. A la fin de cette période, le salarié ne peut plus agir en justice, c’est ce que l’on appelle une prescription extinctive.
Ce délai vise tous les licenciements, économiques comme individuels. En revanche, l’article L. 1471-1 exclut notamment les actions en réparation d’un dommage corporel, les actions portant sur les salaires (qui se prescrivent en trois ans), sur des discriminations ou encore les actions liées à un harcèlement (qui se prescrivent en cinq ans).
30, 5, 2, 1 : une réduction constante du délai de contestation depuis 2008
Avant 2008, le salarié pouvait contester son licenciement pendant 30 ans. A cette époque, le délai en matière sociale était aligné sur le délai de prescription de droit commun. En 2008, le délai a été réduit à cinq ans par une réforme de la prescription applicable en droit des contrats (Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile). On note cependant qu’en droit des contrats, les parties peuvent convenir d’un délai de prescription plus court, mais qu’il ne peut jamais être inférieur à un an (article 2254 du code civil). Le droit social ferait donc exception avec un délai encore plus court qu’en droit des contrats.
En 2013, la loi relative à la sécurisation de l’emploi réduit une nouvelle fois le délai de contestation du salarié à deux ans. Enfin, une « ordonnance Macron » du 22 septembre 2007 sur la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail divise encore par deux la prescription et réduit le délai à un an.
Selon Julien Icard, professeur de droit du travail à l’université Paris II, « dans tous les exposés des motifs de ces textes, on retrouve l’argument classique de la sécurisation des employeurs ». Pour le juriste, le projet de Bruno Le Maire de réduire le délai à deux mois reviendrait à l’aligner sur celui des fonctionnaires et des salariés protégés (dans les cas où l’autorisation de l’inspection du travail n’a pas été demandée, ou si le salarié souhaite agir contre la décision de l’inspection), « sauf qu’ici, le ministre de l’économie vise ici des salariés qui justement ne sont pas protégés ».
Vers une nouvelle baisse du contentieux prud’homal
Quelle est l’ampleur des licenciements et des recours des salariés ? En octobre 2023, la Dares (direction statistique du ministère du travail) a chiffré à 240 500 les licenciements au 2e trimestre (étude « Les mouvements de main d’œuvre des salariés du privé »). Le ministère de la justice dispose également de chiffres précis : en 2022, sur 115 516 recours de salariés devant les prud’hommes, 78 554 concernaient des licenciements (étude en pièce jointe « Les chiffres clés de la justice édition 2023 »).
Selon Julien Icard, « le volume de contentieux est en chute libre depuis les années 2010, un mouvement qui s’est accéléré avec la création de la rupture conventionnelle ». Le gouvernement souhaite-t-il à terme supprimer le conseil de prud’hommes ? « C’est possible, juge Julien Icard, surtout si le taux de contentieux s’effondre. Le tribunal judiciaire pourrait alors absorber le contentieux social ».
Les avocats bloqués par la fin de l’unicité de l’instance
L’avocate Judith Bouhana craint également que les défenseurs des salariés ne doivent travailler dans des délais impossibles à tenir. La réforme de 2016 a en effet supprimé le principe de l’unicité de l’instance (décret n’° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale). « Avant le 1er aout 2016, les avocats pouvaient saisir les prud’hommes et ajouter des demandes au fur et à mesure. Depuis cette date, il faut concentrer tous les moyens dans la requête initiale, il est impossible d’ajouter une demande une fois que le conseil de prud’hommes est saisi. Nous allons donc devoir prendre en charge les dossiers des salariés beaucoup plus rapidement. Cela pose un problème de réaction et d’organisation de la défense « , explique-t-elle.
Le sort d’une contestation pendant l’exécution du préavis
En cas de licenciement pour un autre motif qu’une faute grave ou lourde, la durée du délai de préavis varie en fonction de l’ancienneté du salarié : un mois pour une ancienneté entre six mois et moins de deux ans, deux mois pour une ancienneté d’au moins deux ans. Si le délai de prescription pour contester le licenciement se trouvait réduit également à 2 mois, le salarié contestant son licenciement alors que son préavis n’est pas terminé risque de rencontrer de fortes tensions avec son employeur. Selon Judith Bouhana, « beaucoup de salariés licenciés qui me contactent sont en grande difficulté, parfois en dépression. Pendant une période de préavis, l’employeur va tenter de négocier et mettre le salarié encore plus sous pression ».
Quid du droit d’agir en justice ?
Un salarié sous pression risque de renoncer à son droit de saisir la justice. Or, ce droit est protégé par l’article 8 de la Convention de l’Organisation internationale du travail sur le licenciement : » Un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement injustifiée aura le droit de recourir contre cette mesure devant un organisme impartial tel qu’un tribunal, un tribunal du travail, une commission d’arbitrage ou un arbitre ».
L’article 31 du code de procédure civile garantit que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Judith Bouhana anticipe déjà les effets de la réforme de Bruno Le Maire : « On ira sur le terrain de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés, défendre le droit d’accès au tribunal et à un procès équitable ».
Pour l’heure, nul ne sait si le projet de Bruno Le Maire sera mené à son terme. Selon le ministère du travail, lundi 4 décembre, le sujet est en cours d’expertise à la Direction générale du travail (DGT). Il fera également l’objet de discussions avec Olivier Dussopt et Elisabeth Borne. Enfin, on peut s’interroger sur la succession de prises de parole de Bruno Le Maire, qui depuis la conférence sociale semble se transformer en ministre du travail. La mise en cause d’Olivier Dussopt par la justice serait-elle la cause de ces irruptions ? En attendant, il est possible que suivant une stratégie éculée, le gouvernement évoque un délai de deux mois afin de susciter la polémique et de le hausser à six mois, durée initialement prévue qui mûrissait dans les cartons des ministères…
Marie-Aude GRIMONT
Rédactrice en chef adjointe
actuEL CSE