Quelques rappels utiles :
- La prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail réservé exclusivement au salarié qui peut rompre son contrat de travail en adressant une lettre de prise d’acte à son employeur celui-ci devant lui remettre son certificat de travail, son attestation Pôle Emploi, le règlement de son salaire et congés payés afférents jusqu’à la date de rupture du contrat de travail.
- La prise d’acte devra être soumise au jugement du conseil de prud’hommes par le salarié, les juges devant apprécier si les manquements sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et constater que la prise d’acte a les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse ou, si tel n’est pas le cas, si la prise d’acte doit avoir les effets d’une démission.
- D’une position souple en 2014 (Chambre Sociale 5 mai 2010 n°07-45409) et (Chambre Sociale 23 janvier 2013 n°11-18855), la Cour de cassation est passé à une appréciation plus rigide des manquements graves empêchant la poursuite du contrat de travail (ni la visite médicale de reprise du salarié en arrêt de travail (23 septembre 2014 n°12-24967), ni les atteintes aux principes d’égalité de traitement, ni l’absence de visite médicale d’embauche ou le non-paiement d’heures supplémentaires et de RTT (26 mars (n°12-23634), 14 mai (13-10913) et 15 mai 2014 (12-29746) ne constituent alors des manquements suffisamment graves justifiant le bien-fondé de la prise d’acte du salarié.
- En 2015, une évolution semble s’être opérée vers un nouvel assouplissement, en voici quelques illustrations :
1.Le retrait d’un véhicule de remplacement
Un technicien chargé d’affaires bénéficiait par avenant d’un véhicule de déplacement que l’employeur prend par la suite la décision de supprimer :
« La cour d’appel… a retenu que l’attribution du véhicule de déplacement revêtait une importance déterminante pour le salarié compte tenu du déménagement de la société et de l’éloignement de son lieu de travail, et que cet avantage consenti en 2009 et perdurant jusqu’en 2011 ne pouvait lui être retiré… » (Chambre Sociale, 15 décembre 2015 n°14-10242).
2. Le refus de jours de RTT et l’absence de versement intégral du bonus
Validation de la prise d’acte d’un responsable des ressources humaines sénior qui reprochait à son employeur de lui avoir interdit de prendre ses jours de RTT et de ne pas lui avoir réglé l’intégralité de son bonus 2008.
La Cour suprême approuve la cour d’appel qui « a fait ressortir que les manquements retenus à l’encontre de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail… produisaient les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse » (Chambre Sociale, 15 décembre 2015 n°14-12254).
3. Sanction de la déloyauté de l’employeur à l’égard d’un salarié
Un conducteur de travaux victime d’un accident de travail et déclaré apte avec interdiction de déplacement sur les chantiers et de déplacement en véhicule pendant 2 mois prend acte de la rupture de son contrat de travail.
Confirmant l’arrêt d’appel, la Cour de cassation valide la prise d’acte du salarié en précisant « mais attendu qu’ayant constaté que si le salarié avait été affecté, lors de la reprise de son travail, dans un bureau de l’entreprise conformément à l’avis du médecin de travail, l’employeur n’avait pas respecté son obligation contractuelle de lui fournir une prestation de travail suffisante, la cour d’appel a caractérisé un manquement de l’employeur à ses obligations empêchant la poursuite du contrat de travail » (Chambre sociale 9 juin 2015 n°13-26834).
4. Lorsqu’il y a modification du contrat de travail du salarié la prise la prise d’acte du salarié est justifiée si :
- Il y a diminution des heures de travail du salarié.
Il peut s’agir d’une diminution des heures de travail du salarié (Chambre sociale, 26 novembre 2015 n°14-11100).
Une employée avait reçu sur son bulletin de salaire la mention d’une nouvelle amplitude de travail avec de nouveaux horaires et la diminution de son temps de travail ramené de 35 heures à 20 heures.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré la prise d’acte du salarié fondée, « l’employeur ayant modifié unilatéralement le contrat de travail de la salariée ».
- Les missions du salarié sont modifiées
Un directeur général adjoint qui, après avoir reçu « une lettre redéfinissant ses objectifs à cours terme » a pris acte de la rupture de son contrat de travail considérant que l’employeur avait procédé à une modification essentielle et unilatérale de son contrat de travail.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir « relevé que le contrat de travail n’ayant jamais été modifié jusqu’à ce que soit remis au salarié… un courrier redéfinissant ses objectifs à cours terme, (la Cour) a pu décider que ses nouvelles missions constituaient une modification substantielle de ce contrat et fait ainsi ressortir un manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail » (Chambre sociale, 25 novembre 2015 n°14-17433).
- Les fonctions et responsabilités du salarié sont diminuées
La prise d’acte du salarié est également jugé fondée lorsqu’il est écarté de ses fonctions et responsabilités.
Deux arrêts concomitants du 4 novembre 2015 n°13-14411 et 13-14412 explicitent cette situation.
Dans la première décision un consultant a pris acte de la rupture de son contrat de travail en contestant la diminution de son niveau de responsabilité, ce que valide la Cour de cassation qui constate que la cour d’appel « a fait ressortir que l’employeur avait privé la salariée d’une partie de ses responsabilités consistant dans l’encadrement et le suivi d’une équipe d’ingénieurs » (n°13-14412).
Dans la seconde espèce, il s’agissait d’un directeur technique contestant la modification de son niveau de responsabilité dont la prise d’acte est justifiée selon la Cour de cassation qui constate que « sans méconnaître l’objet du litige ni inverser la charge de la preuve, la cour d’appel a pu retenir que, faute pour l’employeur d’avoir maintenu au salarié les responsabilités attachées à sa qualification de directeur technique et consistant dans l’encadrement d’équipes, la prise d’acte de ce salarié motivée par la perte de ses responsabilités était justifiée » (n°13-14411).
Le volume des décisions rendues en matière de prise d’acte en 2015 (plus d’une quarantaine d’arrêts) confirme que la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail devient une voie autonome, prétorienne et singulière de rupture du contrat de travail du salarié, en constante évolution au fur et à mesure de sa construction jurisprudentielle.
C’est donc pour les salariés un outil nécessaire pour mettre fin à des situations inacceptables et qui doit être manié avec grande précaution pour échapper à la requalification de la rupture en une démission.