Si l’élargissement de ce mécanisme, vieux de trente ans, suscite critiques et méfiance de la part des spécialistes, il est promu depuis un certain temps par la CFDT.
Il faut relire, un an après, les 24 pages du projet du candidat Emmanuel Macron lors de la dernière présidentielle. La 13ème du programme, brossant son dessein sur le «plein-emploi», révèle une proposition qui n’avait pas fait grand bruit à l’époque : l’instauration d’un compte épargne-temps (CET) élargi au plus grand nombre. Mis en place en 1994, l’outil, rénové, permettrait, d’après le chef de l’État, de «monétiser ses RTT, jours de congé ou bien les mettre de côté et choisir, plus tard dans la vie, d’avoir plus de temps pour soi et ses proches.» Dans sa très longue conférence de presse en mars 2022 qui détaillait son ambition, le prétendant à sa réélection promouvait alors un CET «portable, monétisable et universel.» Alors que la réforme doit être incluse dans la prochaine loi travail, une étape avait déjà été franchie, en ce sens, lors du vote de la monétisation des RTT, à l’été 2022.
Petit retour en arrière : depuis 29 ans, le CET permet aux salariés d’obtenir des congés rémunérés ou de l’argent, en contrepartie de jours et de RTT non pris ou des sommes qui y ont été déposées. Comme les primes d’ancienneté, les primes d’intéressement, ou bien les treizièmes mois. Si le mécanisme n’est pas obligatoire au sein d’une société, il peut être décidé par convention, accord d’entreprise ou de branche. Problème, le dispositif serait largement utilisé par les cadres, et donc par ceux qui ont déjà une plus grande autonomie dans la gestion de leur temps. Autres données de la Dares qui illustre encore mieux l’enjeu : seuls 10% des salariés du secteur privé – 4% dans les TPE – avaient accès au compte épargne-temps l’année dernière. «Il est très peu utilisé parce qu’il est très peu mis en place, c’est vraiment rare dans les petites et moyennes entreprises», souligne Judith Bouhana, avocate spécialiste en droit du travail. D’où l’idée de donner une plus grande marge de manœuvre à des personnes qui sont davantage contraintes.
Un an après sa réélection, le président de la République a remis l’ouvrage sur le métier lors d’une rencontre avec le patronat, mardi 18 avril, à l’Élysée.
L’occasion pour Emmanuel Macron d’ouvrir une nouvelle page après la si contestée réforme des retraites, adoptée et promulguée dans la douleur. Pour faire baisser la température sociale, Marc Ferracci, député Renaissance, proche du président, et économiste à l’initiative de la dernière loi assurance- chômage, évoquait, dans une récente interview au Point «un nouveau droit qui permettrait de mieux articuler les temps personnel et professionnel, participant aussi à travailler mieux.» Si la loi «Plein-emploi» doit être présentée en Conseil des ministres fin mai, – l’exécutif souhaite mettre l’accent sur des mesures sociales et «sucrées» -, la promesse d’un CETU (universel) n’est pourtant pas aisée à mettre en œuvre.
Les petites entreprises hésitantes
Beaucoup de structures étant très hésitantes, l’outil est majoritairement utilisé par les fonctionnaires et certains salariés. «Seules les entreprises bénéficiant d’une certaine flexibilité dans leur organisation et leurs ressources humaines pourront supporter la charge d’un CET universel et portable, analyse Deborah David, avocate en droit du travail au sein du cabinet De Gaulle Fleurance.
Cette flexibilité n’existe que dans les grosses entreprises qui peuvent se permettre de gérer de longues absences et qui bénéficient d’une trésorerie suffisante pour faire face aux déblocages de CET inopinées.» En d’autres termes, une petite PME aura plus de soucis pour mettre en place ce dispositif. «La difficulté sur l’universalité, c’est de trouver, avec des statuts différents, une législation qui va harmoniser le droit de toutes ces personnes», ajoute Judith Bouhana.
Mais attention, l’universalité promise ne doit pas «être une incitation pour les collaborateurs à prendre moins de jours de repos ou à travailler plus pour gagner plus, avec un risque qu’ils se retrouvent en surchauffe», prévient Étienne Pujol, avocat en droit social. Jusqu’à récemment, peu sont les entreprises de moins de 300 salariés qui en bénéficiaient. «Le dispositif était peu utilisé jusqu’à la période Covid : les employeurs se sont rendu compte que les salariés avaient utilisé beaucoup de temps de repos et qu’il n’était pas forcément payable ou rémunérable, détaille-t-il. On a davantage mis en place des CET pour des congés qui n’avaient pas pu être pris ou des heures supplémentaires qui n’avaient pas pu être rémunérées.»
Deuxième aspect technique, celui de la «portabilité», permettant qu’un salarié puisse emporter son CET dans n’importe quelle société. «Beaucoup de gens aujourd’hui, quand ils changent d’entreprise, sont obligés d’abandonner leur compte épargne-temps qu’ils avaient accumulé parce qu’il n’est pas portable», avait ainsi affirmé Emmanuel Macron lors de la campagne. Une transformation qui ne va pas de soi selon la structure des entreprises. À titre d’exemple, «lorsqu’un salarié, qui a accumulé des jours de congé au sein d’une grande PME, arrive dans une petite start-up qui démarre, celle-ci n’a pas la possibilité d’absorber aussi bien qu’une grosse entreprise l’absence de son salarié qu’elle vient de recruter et dont elle a impérativement besoin», analyse Déborah David. «Si un salarié qui arrive demande à bénéficier d’une longue période de congés non anticipée, ça peut tout déstabiliser.» Ce qui peut être un frein à l’embauche pour certains employeurs, ne souhaitant pas recruter un futur salarié au CET trop chargé. «Pour que ça ne devienne surtout pas un frein, il faut des modalités, des assouplissements pour les entreprises, et ne pas imposer une réforme qui serait lourde en termes de trésorerie», pointe Judith Bouhana.
Des contours qui doivent être affinés
D’ailleurs, cette crainte est partagée par la CFDT. «Tout l’intérêt (des négociations, NDLR) sera dans la mise en place de ce CETU pour qu’il puisse y avoir des règles d’utilisation universelles», précise Catherine Pinchaut, secrétaire nationale du syndicat. «L’employeur n’est pas censé savoir combien un salarié a sur son CET. Mais il y a des règles à trouver pour que ce dernier puisse utiliser son temps et que l’employeur puisse avoir un délai de prévenance pour s’organiser.» L’avocat Étienne Pujol lui a une autre solution : «Que les droits acquis soient dans le plan épargne retraite du collaborateur, et qu’ils ne soient pas monétisables. L’employeur n’aurait rien à supporter.»
La «monétisation», justement, pourrait enfin engendrer quelques enjeux d’appréciation : un salarié qui, à ses débuts, aura économisé un certain nombre de jours dans une entreprise, avec un faible salaire, ne pourra pas forcément faire valoir ses congés payés en fin de carrière, avec une plus forte rémunération. Le coût de ces derniers étant alors plus important pour la structure en question. «Il faudrait que les passages, d’une entreprise à une autre, se fassent à taille d’entreprise équivalente, chiffres d’affaires équivalant et valeur du point du CET équivalent», alerte, en ironisant, une fin connaisseuse du droit du travail.
Si les contours, encore flous de la réforme, doivent être affinés au fil de la négociation entre partenaires sociaux, l’idée pourrait aider à ranimer la flamme, éteinte, entre le gouvernement et la CFDT. Syndicat favorable à la mesure depuis bien longtemps. «Le CETU, c’est un sujet qu’on traite depuis plusieurs années. Mais je ne suis pas sûre qu’on ait la même vision que celle du gouvernement», indique Catherine Pinchaut. En partant du principe qu’il y a «de nouvelles aspirations des salariés en matière d’équilibre de vie, de temps de travail, d’utilisation de son temps tout au long de son carrefour professionnel.»
Pour le syndicat de Laurent Berger, ce nouveau CET est vu, par l’exécutif, comme un moyen d’augmenter le pouvoir d’achat. «Il y a d’autres outils pour cela», raille la syndicaliste. Après le 1er mai, moment dont les organisations voudront faire une démonstration de force contre le gouvernement, les syndicats devraient être de nouveau invités à Matignon et à l’Élysée pour évoquer les prochaines réformes. Façon pour l’exécutif d’ouvrir une nouvelle page, et de tourner celle des retraites.
Par John Timsit
Publié le 30/04/2023 sur le Figaro (avec abonnement)
https://www.lefigaro.fr/conjoncture/un-compte-epargne-temps-peut-il-vraiment-etre-universel-comme-le-promet-emmanuel-macron-20230430