Le développement des réseaux sociaux, des téléphones portables devenus des véritables appareils photographiques aboutissent au développement d’un contentieux jusque-là peu élevé en droit du travail mais bien connu des praticiens du droit de la presse et de la propriété intellectuelle.
Un arrêt du 19 janvier 2022 de la Cour de Cassation chambre sociale vient rebattre les cartes.
Le principe est le suivant, le salarié a droit au respect de sa vie privée en application de l’article 9 du Code civil dont le Conseil Constitutionnel a donné la valeur d’une liberté fondamentale garantie par la constitution. Le droit à l’image du salarié fait partie du droit à sa vie privée. Cette protection du droit à l’image découle de la protection de la personnalité, c’est son prolongement, le respect de son droit à l’intimité de sa vie privée.
Dès lors, comment se répartissent en entreprise les droits de l’employeur exercés sur l’image de son salarié et les droits de celui-ci au respect de sa vie privée et donc de son image ?
1. Quels sont les droits de l’employeur sur l’image de son salarié ?
Durant l’exécution du contrat de travail :
Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son salarié pendant son temps de travail.
Mais l’employeur doit préalablement recueillir le consentement du salarié exprès à l’utilisation de l’image de son salarié, il ne peut y avoir de consentement implicite :
Le seul fait que le salarié appartienne à l’entreprise ou qu’il ait donné une autorisation dans le passé ne peut valoir accord implicite du salarié à l’utilisation de son image au-delà de la durée fixée.
Après la rupture du contrat de travail :
Sauf autorisation expresse donnée par le salarié d’utiliser son image dans un délai limité sur une période allant au-delà de la fin de la relation de travail, l’image du salarié ne pourra être utilisée après la rupture de son contrat de travail. [1]
Ainsi, en l’absence d’autorisation, l’employeur ne peut utiliser des images qu’il aurait obtenues à l’insu du salarié pour établir une faute de sa part par exemple, ce qui constitue un mode de preuve illicite. [2]
2. Voyons dans quelles mesures le salarié peut revendiquer une atteinte à son droit à l’image par son employeur et obtenir réparation.
Il faut une exploitation de cette image et une possibilité d’identifier le salarié [3].
Une Animatrice de danse conteste son licenciement et demande à cette occasion une indemnisation pour utilisation abusive de son image figurant selon elle sur un flyer et sur le site internet de l’employeur au-delà de la date fixée par elle pour y consentir.
Le Conseil de Prudhomme avait écarté cette indemnisation considérant que le visage de la salariée n’était pas visible.
Les Juges d’appel considèrent au contraire que même si le visage de la salariée n’est pas visible le flyer permet néanmoins de l’identifier et confirment une atteinte portée à son image.
La nécessaire preuve d’une exploitation, d’une utilisation de l’image du salarié [4].
Un salarié Gardien de déchetterie licencié pour motif disciplinaire conteste la présence de son image sur le site internet de la société après la rupture de son contrat de travail, photographie prise selon le salarié sans son accord et qui selon lui porterait atteinte à son honneur, à sa dignité compte tenu des circonstances de la rupture de son contrat de travail.
L’employeur lui réplique qu’il ne rapporterait pas la preuve que son image a été exploitée sans son accord.
La Cour constate effectivement que cette photographie du salarié apparaît sur le site internet de la société après la rupture du contrat de travail sans autorisation donnée par celui-ci de capter et diffuser son image.
La Cour conclut que la diffusion de la photographie du salarié après la rupture du contrat lui a causé un préjudice en ce que son image restait ainsi associée à son employeur alors que celui-ci l’avait licencié pour motif disciplinaire.
Voici deux exemples contraires dans lesquels les salariés ne prouvent pas l’exploitation de leur image :
1ère décision [5] :
Un Agent cynophile reproche à son employeur la présence d’une caméra à l’intérieur du poste de garde, fixée au plafond au-dessus du bureau et non en direction des ouvrants, constituant une atteinte à sa vie privée et plus précisément à son droit à l’image.
La société s’y oppose au motif principal que l’agent n’est pas visible par la caméra compte tenu de son positionnement et que l’image du salarié n’a été ni utilisée ni diffusée.
La Cour suit l’argumentation de l’employeur et juge que :
« le dispositif de vidéosurveillance installé dans le poste de garde où était affecté X est dirigé vers la porte permettant d’y accéder afin de filmer cet ouvrant dans un but de protection des biens et des personnes en cas d’instruction dans le local, le plan de l’intérieur de ce local et la capture d’image extraite de la vidéosurveillance confirme que l’agent de sécurité… n’est pas visible…
et que X a été formé et informé sur le dispositif de surveillance lors de son arrivée sur le site… il apparaît donc que le dispositif n’avait pas pour objet de surveiller le salarié lequel n’était pas filmé à son insu de sorte que ce dispositif ne peut être considéré comme attentatoire de sa vie privée et à son droit à l’image ».
2ème décision [6] :
Il en est de même pour une Vendeuse de vêtements ayant accepté de se faire photographier durant sa relation de travail sans signer de contrat de diffusion de son image de sorte que ni la durée ni le lieu ni l’usage ont été précisément définis.
L’employeur condamné par le Conseil de Prud’hommes n’avait cessé de diffuser son image sur le site internet de la société, la salariée demandait réparation au titre de son droit à l’image invoquant une diffusion de son image par son employeur après le terme de la relation contractuelle.
La Cour constate qu’il appartient à la salariée d’établir le comportement fautif de l’employeur et de démontrer l’ampleur de son préjudice et observe « qu’il ne ressort pas des pièces produites… que l’employeur a fait usage des photographies prises pendant la relation contractuelle postérieurement à celle-ci… la salariée n’établissant pas la matérialité du comportement reproché à l’employeur ».
3. Le revirement de jurisprudence : le préjudice nécessaire du salarié : les conséquences de l’arrêt de la Cour de Cassation du 26 janvier 2022 [7].
Désormais, le salarié qui prouve l’utilisation, l’exploitation de son image sans autorisation expresse donnée à son employeur que ce soit durant ou après la rupture de son contrat de travail n’a plus à établir de préjudice, celui-ci est nécessaire c’est-à-dire que la seule contestation d’une atteinte faite au droit à l’image du salarié ouvre droit à réparation de son préjudice sans preuve ni de l’existence ni de l’étendue de celui-ci.
C’est une petite révolution qui met fin au rejet jusqu’à présent des procédures pour atteinte au droit à l’image du salarié au seul motif qu’il ne démontrait pas l’existence d’un préjudice.
Ainsi ces 2 arrêts récents rendus visiblement dans l’ignorance de ce revirement seraient aujourd’hui cassés par la Cour de Cassation :
3ème décision [8] :
Un Ingénieur reprochait entre autres à son employeur la mention de son nom comme appartenant toujours à la société sur les documents de celle-ci, la Cour jugeant que « le nom du salarié a été mentionné comme appartenant toujours à la société, mais que X ne démontre pas l’existence à son détriment du préjudice dont il se prévaut ».
4ème décision [9] :
Une Chef de projet constate qu’après son licenciement que son nom et sa photographie apparaissent toujours sur l’organigramme du site Internet de l’employeur sans son accord, qui n’ont été supprimés qu’après une mise en demeure de son Avocat.
La Cour a rejeté la demande d’indemnisation d’atteinte au droit à l’image de la salariée car elle ne justifierait pas d’un préjudice tel qu’une utilisation de son image à des fins commerciales ou publicitaires : elle ne démontrerait pas une « atteinte portée à son image, ni un préjudice né de l’utilisation de cette image, étant relevé qu’elle a retrouvé immédiatement un emploi ».
Ces 2 décisions seraient inévitablement cassées aujourd’hui par la Cour de Cassation au visa de ce principe du préjudice nécessaire du salarié.
Salariés et employeurs, sachez donc anticiper tout contentieux sur le droit à l’image, employeur signez avec le salarié un accord précisant les conditions du consentement donné et sa durée.
Salariés, n’hésitez plus à contester toute atteinte à votre droit à l’image par votre employeur sans avoir à établir votre préjudice.
Conservez néanmoins les preuves de l’étendue de votre préjudice qui vous permettront d’assoir une demande de dommages plus étendue.
Notes de l’article:
[1] Cass. ch. sociale 18 décembre 1996 93-44825.
[2] Cass. ch. sociale 20 novembre 1991 V n°519.
[3] Cour d’Appel de Montpellier 1ère chambre sociale 22 juin 2022 18/00652.
[4] cour d’appel de Rennes 8ème chambre sociale 18 juin 2021 18/04981
[5] Cour d’Appel d’Amiens 3 juin 2021 RG 20/01972
[6] Cour d’Appel d’Amiens 24 mars 2021 RG n°18/03418
[7] n° 20-21636
[8] Cour d’appel de Nîmes 8 février 2022 RG n°19/00188
[9] Cour d’Appel de Versailles 6ème chambre sociale 20 mai 2021 RG n°18/01096