Chaque année, un nouveau mal-être contamine les salariés et relance le débat sur la reconnaissance des maladies psychiques d’origine professionnelle. Quand le travail n’est plus la santé… Communication, management, organisation du travail… La vie de bureau a été profondément bouleversée par le Covid-19. Tout l’été, Le Point vous raconte les nouveaux usages au travail, pour le meilleur comme pour le pire.
C’est l’un des phénomènes qui a le plus agité les réseaux sociaux à la fin de l’année 2022. Après le burn-out et le bore-out, les salariés français seraient rongés par un nouveau mal-être : l e quiet quitting ou démission silencieuse. En d’autres termes, l e fait d ‘en faire le minimum au bureau pour ne pas se faire licencier. Sur X (anciennement Twitter), des centaines d’internautes se reconnaissent immédiatement dans cette
définition : « Bon, je crois que cette fois je suis définitivement passé en mode QQ [quiet quitting]. Il y a plus important dans la vie qu’un boulot sans grand intérêt ni challenge », témoigne l’un. « Je suis en quiet quitting depuis le premier jour de mon embauche », écrit un second. Et puis, fin octobre, l ‘Ifop dégaine un sondage, verdict : 37 % des Français s’estiment en démission silencieuse.
Pour Benoît Serre, DRH chez L’Oréal, ce nouveau phénomène est compliqué à quantifier. « C’est un comportement difficile à détecter, car très sournois. Il y a ceux qui ne se plaisent pas là où ils sont, mais qui, pour diverses raisons, comme le confort, préfèrent rester et, puis, il y a ceux qui sont en train de chercher un autre poste, qui passent leur temps à regarder par la fenêtre et qui font souvent un peu moins que ce qu’on leur demande », résume le vice-président délégué de l’Association nationale des DRH (ANDRH). Derrière ce néologisme du jargon managérial se cache en réalité un débat intéressant, celui de la place accordée au travail dans notre quotidien : « Il y a aussi l’idée que ces personnes en quietquitting font uniquement ce qu’on leur demande, ce qui semble, au fond, assez légitime. »
Que dire dès lors des dernières statistiques de la Dares qui montrent que le taux de démission n’a jamais été aussi haut en France ? Il s’élevait à 2,7 % au premier trimestre 2022. « Vous aviez déjà ce type de comportement avant, sauf qu’il y avait 10 % de chômage, note Benoît Serre. Maintenant, les gens savent qu’ils vont retrouver un job, nous sommes passés d’un marché de l’employeur à un marché de l’employé. » De fait, en 2022, 80 % des démissionnaires étaient en emploi six mois après leur démission.
« Entre la crise sanitaire, la digitalisation et les nouvelles formes de travail, il était évident qu’on allait changer de modèle d’organisation, mais je trouve ça plutôt sain que ça bouge », conclut le DRH.
« Mon cerveau s’est complètement déconnecté »
Reste que c ette nouvelle organisation du travail, accélérée par la crise sanitaire, s’est aussi faite dans la violence. Selon le cabinet de prévention des risques au travail Empreinte humaine, 44 % des salariés français se déclaraient en état de détresse psychologique, au début de l’année 2023. « Le Covid-19 a créé dans la société entière des envies d’autres choses, ce qui a pu revêtir le travail d’un manteau d’ennui ou de surmenage », analyse Sophie Fantoni-Quinton, professeure de médecine du travail au CHU de Lille.
L ‘épuisement professionnel, Louise* en a fait les frais, il y a quelques mois. Gestionnaire de comptes dans une start-up parisienne, la salariée de 27 ans n’a pas vu le burn-out arriver. « J’avais tout le temps l’impression d’être submergée de travail. Je n’arrivais plus à dormir, j’étais tout le temps fatiguée, je ne mangeais plus ou alors très mal. Je me sentais énervée et triste sans même savoir pourquoi », raconte celle qui se décrit plutôt comme un bon soldat dans son entreprise. Un détail qui n’étonne pas Sophie Fantoni-Quinton : « Ceux qui trinquent sont souvent des salariés très impliqués, qui ont la tête dans le guidon, avec le sentiment que le travail leur apporte beaucoup. Et puis, un jour, il y a un virage, par exemple un refus d’augmentation salariale, qui fait qu’ils remettent tout en question. Comme ils ont été surmenés depuis des années, ils n’ont plus les ressources pour prendre du recul, et on arrive à des symptômes d’anxiété, voire, parfois, de dépression grave. »
Le virage de Sarah a été surprenant. Fin mai, lors du déménagement de sa boîte, la jeune femme vide définitivement son casier et part à sa séance de sport. Le lendemain, en revenant au bureau, elle se rend compte qu’elle a perdu son sac. Plus inquiétant, elle n’a aucun souvenir des dernières 24 heures. « J’ai fait un black-out total, mon cerveau s’est complètement déconnecté. J’en parle autour de moi, j’appelle mon médecin traitant et, là, j’éclate en sanglots. » Bilan : un burn-out et un mois d’arrêt de travail.
« Ce ne sont pas des maladies »
À l’inverse, Thibaut, lui, a connu l e bore-out, ou l’ennui à mourir au travail, autre grand mal-être de l’époque. Analyste d’affaires chez New Balance pour son premier poste professionnel, le jeune homme pense avoir trouvé le job de rêve. Mais quand il débarque, personne n’a vraiment le temps de s’occuper de sa formation. « J’étais censé orienter les budgets, mais le poste nécessitait des compétences analytiques que je n’avais pas. » Peu à peu, le jeune salarié s’enfonce dans sa routine : « Je faisais le minimum. Au bout de quelques mois, j’arrivais à 9 h 30 et je terminais ma journée à 10 h 30, du coup je regardais des vidéos sur YouTube toute la journée. » D’abord déçu, il prend conscience de son bore-out pendant le Covid-19 : « Je me suis rendu compte que je travaillais pour un job que je ne comprenais même pas et que bosser me mettait dans une déprime totale », raconte celui qui a fini par quitter la boîte au bout de deux ans et demi. « C’est dingue parce que je suis toujours incapable de dire en quoi consistait mon travail. »
Si le bore-out, ou la perte de sens au travail, reste méconnu du grand public, il est de plus en plus utilisé chez les professionnels du secteur. En juin 2020, il a même été reconnu dans un dossier comme source de harcèlement moral par la cour d’appel de Paris. « En général j’explique à mes clients que faire reconnaître un bore-out comme maladie professionnelle relève du parcours du combattant », explique Judith Bouhana, avocate spécialisée en droit du travail. « Le salarié doit garder le plus de preuves dès qu’il sent le vent tourner. C’est ensuite à l’employeur de prouver que les éléments produits s’expliquent par une situation objective », ajoute-t-elle. En revanche, ni le bore- out ni le burn-out ne sont reconnus par les tableaux des maladies professionnelles. « Ce ne sont pas des maladies, ce sont des situations de perception qui se traduisent par des maladies », précise Sophie Fantoni-Quiton. Autrement dit : prouver qu’un cancer est lié à l’amiante, c’est facile, mais pour le burn-out, c’est plus complexe. Alors faut-il légiférer ?
En 2018, le député Insoumis François Ruffin avait tenté de faire adopter une proposition de loi pour faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, sa proposition a finalement été rejetée par l’Assemblée nationale.
Par Louis Chahuneau
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