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Amazon France débouté par la cour d’appel : une décision importante pour la prévention des risques professionnels

La cour d’appel de Versailles a rejeté vendredi 24 avril le recours d’Amazon qui demandait l’annulation des restrictions de son activité en France. À la mi-avril, le tribunal judiciaire de Nanterre avait ainsi imposé au géant du e-commerce de restreindre son activité aux seuls produits essentiels et de procéder à une évaluation des risques professionnels pour limiter les risques de propagation du Covid-19. Une décision qui pourrait bientôt concerner toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur activité.

Saisie par Amazon, la cour d’appel de Versailles a rendu sa décision, vendredi 24 avril. Elle rejette le recours formulé par l’e-commerçant américain, tout en élargissant la liste des produits considérés comme essentiels. Pour rappel, le 14 avril dernier, saisi par les syndicats, le tribunal judiciaire de Nanterre avait imposé au géant du e-commerce de restreindre son activité à la préparation et à l’expédition des seuls “produits essentiels”, et de procéder à une “évaluation des risques professionnels”, avec les représentants du personnel, afin de limiter les risques de propagation du coronavirus.

“La cour d’appel confirme l’ordonnance rendue le 14 avril 2020 en ce qu’elle a ordonné à la S.A.S. Amazon France Logistique de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de Covid-19 sur l’ensemble de ses entrepôts ainsi qu’à la mise en oeuvre des mesures prévues à l’article L. 4121-1 du Code du travail en découlant”, déclare la juridiction dans son arrêt. (1) Elle a ainsi estimé que l’entreprise américaine n’avait pas mis en œuvre les mesures de prévention suffisantes pour protéger les salariés de ses entrepôts de préparation des commandes, l’évaluation des risques n’étant notamment pas “adaptée” au contexte de la pandémie.

 

Produits de première nécessité ou indispensables

La liste des produits considérés comme “de première nécessité ou indispensables au télétravail” a été élargie par la cour d’appel de Versailles, qui autorise notamment la commercialisation des produits de santé, de parapharmacie, d’entretien, ainsi que d’informatique et de bureautique. Le géant du commerce en ligne disposait de 48 heures pour appliquer cette décision, assortie d’une astreinte de 100 000 euros par infraction constatée pendant un délai d’un mois. Mais Amazon a réagi en annonçant prolonger la suspension de ses activités en France jusqu’au mardi 28 avril minimum. L’e-commerçant explique ainsi dans un communiqué que cette astreinte “pourrait impliquer que même un taux infime de traitement accidentel de produits non autorisés, de l’ordre de 0,1 %, pourrait entraîner une pénalité de plus d’un milliard d’euros par semaine”.

“En imposant une restriction des ventes aux seuls produits essentiels, le juge des référés, dont la mission est de prendre des mesures en cas de trouble manifestement illicite et de dommage imminent (ici, un risque de contamination des salariés), suit les directives et les préconisations gouvernementales. S’il y a moins de produits à vendre, la cour escompte simplement qu’il y aura plus de distanciation sociale, le temps qu’Amazon mette en place des mesures pour procéder à une évaluation des risques”, analyse Judith Bouhana, avocat spécialisée dans le droit du travail.

 

 

“Un outil utilisable par tous les employeurs”

Quelles conséquences pourraient avoir ce rejet de l’appel d’Amazon par la cour d’appel de Versailles, qui sanctionne donc la firme pour des lacunes dans la protection de ses salariés vis-à-vis des risques liés au Covid-19 ?

Pour Judith Bouhana, cette décision de justice pourrait faire jurisprudence et inciter fortement d’autres entreprises à “mieux définir les mesures barrière pour leurs salariés”. Et pas seulement les e-commerçants. “La cour donne la voie à suivre dans l’avenir pour tout type d’entreprise, quelle que soit sa taille et son activité : il faut respecter l’obligation de sécurité des employeurs, qui doivent assurer la sécurité et la santé de tous les salariés, via des moyens de prévention, d’information, et de formation. Pour l’instant, dans le contexte du confinement, seules les entreprises exerçant une activité ‘essentielle‘ sont concernées, mais bientôt, une fois l’heure du déconfinement venu, cela impactera toutes les autres”, explique l’avocate.

À noter, ajoute-t-elle, que dans son arrêt, le juge donne une “ligne très claire, une méthode pour mettre en place les mesures barrières et évaluer finement les risques liés au Covid-19, poste par poste, situation de travail par situation de travail, en y incluant les risques psychosociaux. Il s’agit vraiment d’un outil utilisable par tous les employeurs”.

Ce jugement pourrait aussi exposer le géant américain à des actions pénales. Selon Judith Bouhana, “l’on pourrait tout à fait estimer que demain, au cas par cas, suite à l’action d’un ou plusieurs salariés, Amazon soit condamnée pour mise en danger de la vie d’autrui ou blessure ou homicide involontaire”. À noter que l’e-commerçant n’est pas le seul à avoir été mis en cause par des collaborateurs et syndicats en France, comme en témoignent des tensions observées notamment sur des sites logistiques de La Redoute, ou encore du distributeur Carrefour.

 

L’implication des représentants du personnel reconnue

Les mesures destinées à évaluer les risques professionnel devront en outre être définies et mises en place en concertation avec le CSE et les représentants du personnel, puis communiquées aux collaborateurs. Tout comme le tribunal de Nanterre, la cour d’appel reproche en effet à Amazon de ne pas avoir suffisamment consulté ces instances représentatives.

“La cour souhaite que l’évaluation des risques professionnels soit faite en concertation avec les salariés. Non seulement, il faut respecter les mesures barrière et de distanciation sociale, mais il faut donc également associer les salariés”, note Judith Bouhana.

Selon l’avocate, la cour a rappelé que c’est à l’employeur de tenir à jour un “Document unique d’évaluation des risques professionnels” (DUER), mais que le Code du travail “dit aussi que le CSE a un rôle très important et doit être informé des mesures qui modifient les conditions de travail des salariés.” Ainsi, note-t-elle, “l’arrêt martèle que les salariés sont les mieux informés des risques qu’il peut y avoir dans leur emploi, d’où l’intérêt pour l’employeur d’agir de manière concertée.”

Enfin, Judith Bouhana constate que l’arrêt de la cour d’appel de Versailles recommande à Amazon (mais aussi, en filigrane, à toutes les organisations), de faire appel à une aide extérieure. “Les services de santé au travail, la médecine du travail, les services de prévention des caisses de Sécurité sociale, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) : tous ces intervenants peuvent aider l’entreprise à mettre au point son DUER, ainsi que les mesures pour faire face aux risques de pandémie”, conclut l’avocate.

 

(1) Selon l’article L4121-1 du Code du travail, l’employeur doit “prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité et protéger la santé physique et mentale” des employés de sa société.

 

Fabien Soyez
Rebondir.fr
publié le lundi 27 avril 2020
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