Un point sur la liberté d’expression du salarié dans l’entreprise en 2014

La liberté d’expression est un droit fondamental garanti par la Convention Européenne des Droit de L’homme (article 10 : « toute personne a droit à la liberté d’expression… »), la Déclaration des Droit de L’homme et du Citoyen (article 11 : « la libre communication des pensés des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme… »).

En droit du travail, le droit d’expression du salarié est garanti par les dispositions des articles L2281-1, L2281-3 et L1121-1 du code du travail qui définit un principe limitatif du droit d’expression du salarié « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

La jurisprudence intervient de manière très pragmatique pour préciser au cas par cas l’étendue et les limites du droit d’expression du salarié dans l’entreprise.

Un abus est commis par le salarié selon les juges lorsqu’il a tenu des propos injurieux ou diffamatoires ou excessifs (confirmé par arrêts des 19 février et 7 mai 2014 pourvois n°12-29458 et 12-35305).

En 2014, 3 éléments sont retenus par les juges pour apprécier le caractère injurieux, diffamatoire ou excessif des propos tenus :

I. D’abord la teneur des propos au regard du contexte dans lequel le salarié l’a prononcé.

Suite à une altercation entre un vendeur et son directeur concernant une erreur relative au prix d’un produit le salarié n’est pas sanctionné car les juges ont pris en compte l’usage habituel du tutoiement entre le salarié et l’employeur : « L’emploi du tutoiement entre les deux protagonistes de l’altercation apparaît comme étant une pratique ancrée et ne saurait être retenu à faute contre le salarié » et « la teneur des propos n’a pas dépassé l’exercice acceptable de sa liberté d’expression, dans un contexte de grand proximité entre les deux protagonistes ». (Arrêt du 15 janvier 2014 Cour d’Appel de Versailles 15ème Chambre, RG 12/01598).

II. Outre le contexte et l’historique des relations entre salarié et employeur, les juges tiennent compte du cercle de diffusion des propos tenus par le salarié.

Un salarié Responsable Produit ayant adressé un mail aux membres du Comité de Direction de l’entreprise n’est pas sanctionné la Cour d’Appel considérant que ce courriel « contenait des accusations n’ayant pas eu de caractère public du fait de sa diffusion restreinte aux membres du Codir et constituait une réponse aux griefs formulés à son encontre par son employeur », les propos tenus par le salarié ne constituaient pas un abus de la liberté d’expression. (Cour d’Appel de Versailles 19ème Chambre arrêt du 19 septembre 2013 RG 12/04804).

De même à l’égard d’un salarié Responsable Qualité Environnement cadre dans une entreprise de fabrication de système photovoltaïque qui est licencié pour faute grave notamment en raison d’une diffusion d‘un mail informant ses proches collaborateurs de sa mise à pied à titre conservatoire dans les termes suivants : «Je suis dehors à compter de 7h (ils ont enfin réussi)… ».

L’employeur considérait qu’il s’agissait d’un abus d’usage de la liberté d’expression du salarié car celui-ci aurait informé ses collaborateurs de sa mise à pied conservatoire avant qu’elle lui soit signifiée. Ce qui n’est pas la position retenue par la Cour d’Appel qui considère que «le grief de diffusion d’un mail confidentiel ne relevait pas un caractère de gravité suffisant en raison de la diffusion restreinte de ces informations (aux membres de son équipe) pour justifier le licenciement d’un cadre de haut niveau ». (Cour d’Appel de Grenoble Chambre Sociale arrêt du 10 avril 2014, RG 12/05050).

III – Enfin, les juges prennent en compte les fonctions dirigeantes exercés ou non par le salarié.

Récemment, la Cour de Cassation a confirmé le licenciement pour faute grave d’un salarié cadre dirigeant ayant abusé de sa liberté d’expression. (Cour de Cassation chambre sociale arrêt du 14 janvier 2014 numéro 12 – 25658).

Selon la Cour, le cadre dirigeant avait « diffusé auprès du personnel des informations qu’il détenait en sa qualité de membre du conseil d’administration, dans le seul but de contester les décisions prises par ce conseil en opérant une confusion entre les obligations de sa fonction et ses aspirations personnelles déçues… dans le contexte délicat de la fusion en cours», il critiquait « en termes vifs » la nomination et la compétence d’une directrice ainsi que des décisions de représentants d’une caisse, une mise en cause « de mauvaise foi » de la probité de la Présidente du conseil d’administration et une tentative d’obtention par le salarié auprès d’un subordonné de pièces confidentielles pendant sa mise à pied… Soit un ensemble de comportements hautement critiquables pour les juges.

Si l’on retrouve dans cette décision l’appréciation des trois critères : la teneur des propos, le cercle de diffusion et la fonction du salarié, il s’y ajoute un élément intéressant les juges ayant pris la peine de mentionner que le salarié opère « une confusion entre les obligations de sa fonction et ses aspirations personnelles déçues », laissant semble-t-il augurer une interprétation moins critique si le salarié avait agi dans un but collectif et non strictement personnel.

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