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La Perte de Chance en Droit du Travail en 2024 (Partie 1/3)

En droit du travail il existe des dommages certains par exemple la perte d’emploi lorsque le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, l’atteinte aux libertés publiques piétinées (discriminations syndicale, liée à l’origine, à la santé, à la situation de famille etc), la dégradation de l’état de santé lorsque le salarié est victime de harcèlement moral etc.
Lorsque le dommage causé au salarié résulte dans la suppression d’un droit ou d’une situation dont il a été privé, c’est « une chance perdue », on évoque alors la perte de chance. C’est l’objet du présent article : quels sont les préjudices réparables pour perte de chance en droit du travail en 2024 ?

La Cour de Cassation a défini les conditions de prise en compte et d’indemnisation d’une perte de chance :

Il faut un préjudice certain et direct, qui peut être actuellement constaté ou d’une probabilité forte dans le futur. Cette réparation de la perte de chance ne doit pas être égale à l’avantage que le salarié en aurait tiré si l’événement manqué c’était réalisé. La perte de chance doit donc être évaluée par les Juges en fonction de cette chance perdue [1].

En droit du travail, les domaines où la perte de chance est réparée sont extrêmement variés. Dans cette 1ère partie nous envisagerons la perte de chance du salarié en matière de rémunération :
1/ la perte des stocks options
2/ la perte d’actions gratuites
3/ la perte de prime d’intéressement et de participation
4/ la perte de prime variable

-1. Perte de chance et stock-options [2].

Un salarié promu Directeur d’établissement bénéficie d’une rémunération variable sous forme de stock-options libérable à échéance sous condition de présence du salarié au moment de leur paiement.

Son employeur cède 3 ans plus tard l’établissement où il travaille à une entreprise tierce et annule son plan de rémunération variable lui octroyant les stock-options.

Rappelons que lors d’un transfert des contrats de travail dans le cadre d’une cession d’entreprise le salarié doit conserver tous les droits et avantages dont il bénéficiait dans l’entreprise cédée (Art. L1224-1 du Code du travail).

Le salarié invoque une perte de change d’obtenir des actions gratuites, considérant que c’est son employeur qui l’a empêché de faire partie des effectifs aux dates de libération des stock-options en décidant de céder l’établissement dans lequel il est affecté.

L’employeur lui répond que suivant les clauses signées, il ne pouvait bénéficier des stock-options en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Mais le contrat de travail du salarié n’avait pas été résilié mais transféré au profil de l’entreprise cessionnaire.

Selon la cour, si au jour de l’attribution des primes le salarié n’était plus salarié d’une entité du Groupe mais de l’entreprise cessionnaire, les stock-options « faisaient parties intégrantes de la rémunération annuelle » du salarié et c’est la société qui était « à l’initiative de la cession de l’établissement » tout en incitant « fermement le salarié à demeurer à son poste puisqu’elle avait conditionné le versement du bonus à sa présence dans les effectifs de l’établissement au jour de la cession ».

C’est donc la société seule qui, en décidant de céder l’établissement et en incitant le salarié à rester son poste de Directeur d’usine jusqu’au jour de la cession, l’a placé dans la situation de ne plus remplir la condition de présence au moment de la libération des stock-options.

Et la Cour en conclut : « que la société X qui a empêché la réalisation de la condition, est obligée au titre de la perte de chance subie par le salarié de percevoir les droits attachés aux stock-options… il sera alloué (au salarié) la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de pouvoir réaliser les stock-options »

– 2. Perte de chance et actions gratuites [3].

Un salarié contestait son licenciement pour motif économique et absence de reclassement qui lui avait été notifié à la suite d’une proposition mutation qu’il avait refusé dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Or, suite à son licenciement, il avait perdu la totalité des actions qu’il avait acquises les années précédentes représentant selon lui un manque à gagner de près de 18 000 euros.

Après avoir reconnu l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement pour défaut de reclassement, la cour devait apprécier l’existence ou non d’une perte de chance d’attribution gratuite d’actions.

Vainement l’employeur évoquait l’accord signé entre les parties, qui stipulait selon lui la perte des actions gratuites non encore acquises lors de la fin du contrat de travail.

La Cour juge au contraire que :

« sans qu’il y ait besoin de rechercher plus avant si le salarié a ou non accepté (cet accord). Il convient de considérer que c’est en application (et accord) que le salarié a perdu la chance de pouvoir bénéficier du capital représenté par l’attribution d’action notifiée avant son licenciement.
Or, l’application de cette disposition résulte de la seule faute de l’employeur qui a rompu de manière injustifiée le contrat de travail… (c’est l’employeur) qui a privé le salarié de la possibilité de bénéficier du prix de ses actions, (le salarié) est en conséquence en droit de demander réparation du préjudice subi du fait de la perte de chance de percevoir le prix des actions attribuées… il convient d’indemniser la perte de chance subi par le salarié par une indemnité de 18 000 euros ».

– 3. Perte de chance et prime d’intéressement et de participation.

Une salariée pour laquelle les Juges ont reconnu l’existence d’un harcèlement moral prononcent la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur (en savoir plus sur la résiliation judiciaire : Résiliation judiciaire du contrat de travail : les manquements graves retenus par les juges en 2021 (1ère partie). Par Judith Bouhana, Avocat. et Résiliation judiciaire du contrat de travail : les manquements graves retenus par les juges en 2021 (2ème partie). Par Judith Bouhana, Avocat.).

Or, la salariée considérait qu’elle avait été « injustement privée de la prime d’intéressement et de la prime de participation ».

Pour l’employeur la prime d’intéressement est liée à la présence du salarié dans la société suivant l’accord de l’entreprise, la salariée n’ayant pas été présente en 2014 la prime n’était pas due.

Comme dans la décision précédente, les juges sanctionnent la faute de l’employeur responsable de la rupture du contrat de travail :

« si la prime d’intéressement est au terme de l’article 4 de l’accord du 03 mars 2016 conditionnée par la présence (du salarié) dans l’entreprise, la salariée est fondée à se voir indemniser la perte de chance de percevoir une prime subie par la faute de l’employeur à l’origine de son absence dans l’entreprise ».

– 4. Perte de chance et prime variable [4].

Dans cette décision, la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié avait été prononcée aux torts de l’entreprise qui avait modifié unilatérale le contrat de travail du salarié réduisant ainsi sa rémunération sans son accord.

Le salarié sollicitait donc l’indemnisation de la perte de chance qu’il considérait avoir subie suite à la réduction de son secteur d’intervention sans son accord avec retrait de clients grands comptes qu’il détenait depuis son embauche en 1996.

Pour la société la rémunération variable étant par nature « une créance incertaine dépendant de facteurs multiples et conjoncturels, d’investissement et de performances personnelles », cette demande ne reposait pas sur un fondement légal.

Il est exact que la rémunération variable repose dans son principe sur une incertitude à savoir l’atteinte d’objectifs fixés au salarié (en savoir plus : Panorama des primes d’objectifs en 2022 (Partie 1/2). Par Judith Bouhana, Avocat.), néanmoins la Cour va condamner l’employeur aux motifs suivants :

« Il est constant que la société X a modifié de manière unilatérale le mode de calcul de la part variable de la rémunération de Y notamment en modifiant ses secteurs d’intervention, en lui retirant des clients grands comptes détenus depuis l’origine et qu’il en est résulté une rémunération moindre que celle qu’il aurait pu percevoir à compter des premières modifications de son contrat de travail en 2014… il convient de condamner la société X a lui verser la somme de 282 406,23 euros outre 28 240,62 euros au titre des rémunérations dues pour les 36 derniers mois de travail (il s’agit de la prescription triennale en matière de rémunération) ».

La Cour prend en compte l’ancienneté depuis près de 10 ans que le salarié a sur l’attribution des clients grands comptes qui lui ont été retirés sans son consentement, et justifie de la somme allouée à partir du calcul des rémunérations variables qu’il pouvait objectivement percevoir compte tenu du chiffre d’affaires réalisé les 17 années précédentes.

Dans le prochain article, nous aborderons la perte de chance en droit du travail au cours de la procédure de licenciement 2/3 et lors de l’exécution du contrat du travail 3/3.

 

Notes de l’article:

[1] Cass. Soc. 18 mai 2011 n°09-42741.
[2] Cour d’Appel de Versailles 13 octobre 2022 RG n°20/02012.
[3] Cour d’appel de Montpellier 20 avril 2022 RG 18/00707.
[4] Cour d’Appel de Grenoble 12 avril 2022 RG n°19/04384.

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