Depuis lundi 14 mars 2022, l’obligation de port du masque est levée dans les commerces et les entreprises. Certains employeurs préfèrent pourtant la maintenir par mesure de précaution contre le Covid. Dans quel cadre ?
Depuis lundi 14 mars 2022, le port du masque n’est plus obligatoire, mis à part dans les transports collectifs, les établissements de santé, les maisons de retraite et les établissements accueillant des personnes en situation de handicap. Dans de nombreuses entreprises, ce lundi, une partie des salariés le portent encore quand d’autres se sont fait une joie de l’abandonner, un an et demi après son entrée en vigueur. Dans une école d’ingénieurs bretonne, le personnel administratif a préféré le conserver, quand les professeurs et étudiants l’ont globalement laissé tomber.
Mais les épidémiologistes, eux, s’inquiètent de la levée du port du masque, alors que l’épidémie de Covid-19 se poursuit. Il faudra attendre avril pour voir les contaminations peut-être diminuer, estiment le professeur Arnaud Fontanet et le président du Conseil scientifique Jean-François Delfraissy.
Le port du masque 15 jours de plus
À Colombelles, près de Caen (Calvados), le personnel du Super U, lui, ne l’a pas retiré du tout. Par mesure de précaution, le choix a été fait de garder le masque 15 jours de plus. Idem chez le laboratoire Cotral, spécialiste des protecteurs auditifs et lunettes de vue sur mesure pour l’industrie et les milieux complexes et critiques, situé à Condé-sur-Noireau (Calvados). Ou encore au sein des agences d’aide à domicile Coviva. Et ces exemples ne sont pas isolés.
« Pour prendre des empreintes d’oreilles, nous travaillons à 15 centimètres de nos clients. Il n’était pas envisageable ou acceptable de risquer de transmettre la maladie à nos clients », raconte Laurent Capellari, président du laboratoire Cotral. Dans cette entreprise aux 250 salariés, dont 150 sur le terrain (avec un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros, dont un quart à l’export), le comité de direction a décidé il y a une semaine de maintenir le port du masque jusqu’à la fin mars. Et le repousser jusqu’à la fin avril si nécessaire. « Nous ferons le point tous les lundis, rien n’est marqué dans le marbre », explique le dirigeant. Qui assure que ses salariés comprennent la démarche. « J’ai vu beaucoup de personnes aujourd’hui, pas une seule personne sans masque. Et aucune ne m’a dit : c’est quoi ce délire ? »
Jusqu’où engager la responsabilité de l’employeur ?
Ces initiatives n’ont rien d’étonnant, pour le ministère du Travail. « Le droit commun de la responsabilité de l’employeur en matière de santé/sécurité continue à s’appliquer, avait précisé le cabinet d’Élisabeth Borne à Ouest-France . Dès lors que l’employeur, sur la base d’une évaluation des risques, estime qu’il y a un risque de contamination plus spécifique, il peut prévoir le maintien du port du masque au titre des mesures de prévention. »
Reste que l’obligation légale du port du masque ayant été levée dans le décret du 12 mars 2022 (publiée le lendemain au journal officiel) et que le protocole sanitaire en entreprise étant abandonné depuis le 14 mars, un salarié peut dire qu’il n’est pas d’accord. Sur Twitter, certains expriment ainsi leur mécontentement.
« Il y a un risque que la décision d’imposer le port du masque en entreprise soit contestée et constable, on est dans un petit flou », reconnaît Judith Bouhana, avocate spécialiste en droit du travail à Paris. Selon elle, l’employeur doit prendre ses précautions pour éviter une contestation : rappeler qu’il agit dans le cadre de son obligation de veiller à la sécurité et la santé de ses salariés, mais aussi faire valider la mesure. Par le Comité social et économique (CSE) dans le cadre d’une grande entreprise, ou bien l’expliquer aux salariés au sein d’une PME, pour prouver qu’il ne s’agit pas d’une décision arbitraire. Il peut expliquer qu’il s’agit d’une mesure ponctuelle, par exemple, s’il estime que ses salariés sont en contact trop proches ou qu’il n’y a pas d’aération possible.
L’avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) du 11 février 2022 préconisait ainsi de maintenir le port du masque dans les milieux clos et confinés (mal ventilés), tandis qu’il reste obligatoire dans les transports collectifs de voyageurs en raison de la promiscuité.
Protéger les personnes fragiles
Selon les épidémiologistes, il faut en particulier faire preuve de prudence envers les personnes fragiles, notamment celles immunodéprimées. Au sein du réseau Coviva, les 18 agences indépendantes spécialisées dans l’aide à domicile des seniors ont donc choisi de maintenir obligatoire le port du masque pour les 450 salariés, majoritairement des auxiliaires de vie.
« D’autant que l’obligation vaccinale demeure pour nos salariés à partir du moment où ils interviennent auprès des personnes fragiles, donc pour nous cela ne constitue pas une rupture », estime Étienne Dufour, le directeur de ce réseau. Ce dernier a suivi les recommandations de sa fédération professionnelle. Et ses salariés l’ont accepté comme une mesure de « bon sens » et de « bientraitance ». Les éventuels contestataires s’étaient plutôt fait entendre en refusant de se faire vacciner contre le Covid au second semestre 2021 : leur contrat avait été suspendu ou ils avaient quitté l’entreprise.
A contrario, quelle protection pour les salariés fragiles dont les entreprises n’imposent pas le port du masque ? « Dans les circonstances actuelles où le virus continue à circuler, les salariés qui le souhaitent pourront continuer à porter un masque, sans que l’employeur ne puisse s’y opposer », indique le « Guide repère covid » transmis pour consultation aux partenaires sociaux le 8 mars, mais toujours pas publié officiellement par le ministère du Travail. Il est destiné à rappeler aux entreprises les grands principes de prévention. « La médecine du travail peut imposer du télétravail ou le port du masque à l’employeur pour protéger un salarié », rappelle Judith Bouhana.
Gaëlle FLEITOUR – OUEST-FRANCE
Publié le 14/03/2022 à 19h15