La prime d’objectifs ou bonus ou rémunération variable, est un élément du salaire du salarié qui ne peut pas faire l’objet d’une modification par l’employeur sans accord exprès du salarié. Le paiement de la prime d’objectifs soulève un important contentieux.
Les décisions rendues sur ce point en 2015/2016 peuvent être classées en 3 thèmes principaux :
- Les Juges étendent le caractère obligatoire des primes créant une frontière de plus en plus ténue entre la prime discrétionnaire et la prime d’objectifs (1)
- Les Juges affirment le principe du paiement de la prime du salarié au prorata de son temps de présence dans l’entreprise (2)
- Les Juges mettent la charge de la preuve en matière de primes d’objectifs sur les épaules de l’employeur (3)
I – Examinons en premier lieu L’extension par les juges du caractere obligatoire des primes
Les juges distinguent la prime discrétionnaire ou exceptionnelle de la prime d’objectif.
La prime discrétionnaire ou exceptionnelle peut être versée ou non par l’employeur sur sa seule décision, sous réserve de respecter les grands principes du droit du travail tels que la loyauté contractuelle, l’égalité salariale, l’absence de discrimination.
Au contraire, la prime d’objectifs à un caractère contractuel qui engage l’employeur à la verser au salarié dans les conditions prévues entre les parties.
De la qualification juridique de prime discrétionnaire ou de prime d’objectifs donnée à la rémunération du salarié dépend donc la condamnation ou non de l’employeur au versement de la prime réclamée par le salarié.
• Devient une prime obligatoire la prime discrétionnaire et la prime discrétionnaire qui est versée de manière constante et régulière au salarié :
Un salarié Directeur adjoint dont le contrat de travail mentionne explicitement le versement d’un bonus discrétionnaire déterminé en fonction des performances du salarié et et de la performance du groupe en demande le paiement en justice.
L’employeur lui répond que la bonne foi contractuelle exclut d’attribuer à cette prime le caractère d’un bonus au seul motif que cette prime aurait été versée de manière régulière et constante au salarié.
La Cour de Cassation confirme l’arrêt d’appel et considère que la prime a acquis par sa régularité et sa constance un caractère obligatoire :
« ayant constaté que le bonus avait été versé au salarié chaque année et sans exception depuis l’engagement de la relation contractuelle remontant à plus de 10 ans et que seul son montant annuel était variable et discrétionnaire, la cour d’appel a exactement déduit de la constance et de la régularité de ces versements que le bonus constituait un élément de salaire … » (28 janvier 2015 numéro 13 – 23 421).
Dans un arrêt du 16 décembre 2015 (n°14-21904), sont rappelés les caractéristiques de la prime discrétionnaire :
Il s’agit d’une prime « attribuée et fixée de manière discrétionnaire par l’employeur en raison de la performance de l’unité à laquelle appartenait le salarié et (qui) n’était garantie ni dans son principe ni dans son montant, ce dont il résultait qu’elle constituait une gratification bénévole ».
• Un courrier de l’employeur peut constituer un engagement de l’employeur à régler la prime lui retirant tout caractère discrétionnaire
Dans un précédemment arrêt du 1er avril 2015 (n°13-26706 et 13-27516), la Cour de cassation constate :
« d’une part que la lettre d’embauche prévoyait le versement d’un bonus dont le montant était fixé de façon discrétionnaire par l’employeur, et d’autre part, que par courriers du 24 avril 2008, l’employeur s’est engagé à verser un bonus au moins égal à 866 000 € payable au mois de mars 2009 et au titre de l’année de 2009 un bonus au moins égal à 541 000 € payable au mois de mars 2010, ce qui n’excluait toutefois pas un montant supérieur en fonction notamment des performances du secteur d’activité du salarié ; qu’elle en a exactement déduit que ces bonus constituaient non pas une gratification bénévole mais un élément de la rémunération variable du salarié ».
Dès lors, même si le contrat de travail du salarié stipule une prime discrétionnaire, cette prime peut devenir un élément contractuel de la rémunération du salarié si l’employeur s’y engage postérieurement (en l’espèce par courrier mais pourquoi pas par courriel également).
• Il appartient aux Juges de donner à la prime son exacte qualification
Dans une décision du 4 février 2015 (n°13-23051), un employeur contestait le caractère obligatoire d’une prime « de motivation » qui n’était selon lui pas prévue au contrat et irrégulière dans son montant et dans sa périodicité, ajoutant qu’il était confronté à des difficultés économiques le contraignant à cesser de régler cette prime.
Le salarié faisait valoir que cette prime « trimestrielle de motivation était payée en exécution d’un engagement unilatéral de l’employeur, qu’elle constituait un élément de salaire et était obligatoire pour l’employeur dans les conditions fixées par cet engagement ».
En d’autres termes, et comme les décisions précédentes, peu important la qualification de prime exceptionnelle donnée à l’origine par l’employeur qui l’a qualifié ici de « prime de motivation », il appartient au Juge de vérifier si ultérieurement l’employeur ne s’est pas engagé unilatéralement à la verser, octroyant à la prime un caractère obligatoire.
Si tel est le cas, la prime qualifiée jusque-là d’exceptionnelle devient alors une rémunération obligatoire engageant l’employeur à son règlement.
• La rupture d’égalité entre salarié peut justifier aussi le paiement par l’employeur d’une prime discrétionnaire
Le 13 janvier 2016 (n°14-26050), la Cour de cassation a jugé q’une prime discrétionnaire devait être versée à un salarié.
Il s’agissait d’un salarié réceptionniste d’une société de gestion hôtelière qui a l’occasion de la contestation de son licenciement évoquait la rupture d’égalité de traitement à l’égard de ses collègues qui avait perçu des primes en décembre 2003 et décembre 2004 qui ne lui avaient pas été versées.
L’employeur considérait qu’il s’agissait d’une prime versée discrétionnairement en fonction de la qualité du travail fournie par les salariés et non de critères discriminatoires.
La Cour de cassation est d’un avis contraire :
« le seul fait qu’une prime soit laissée à la libre appréciation de l’employeur n’est pas de nature à justifier, en soit, une différence de traitement entre salarié placé dans une situation comparable au regard de l’avantage considéré ; qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’elle avait constaté que les primes litigieuses avaient été versées à d’autre salarié, sans caractériser l’existence de critères objectifs définis préalablement permettant de vérifier la qualité du travail du salarié pour l’octroi de ses primes, la cour d’appel a violé le principe susvisé ».
Dans le droit fil de la jurisprudence relative à l’inégalité de traitement la cour sanctionne l’employeur qui n’a pas justifié de critères objectifs qui auraient du être définis en amont permettant de vérifier que l’attribution de ces primes ne dépendait pas de critères discriminatoires.
Prochainement seront évoquées la création et la garantie par les Juges du droit du salarié au paiement de sa prime d’objectifs prorata temporis, c’est à dire au prorata de son temps de présence dans l’entreprise.