Logo Judith Bouhana 2020 Mobil

La preuve du harcèlement moral en 2016

Le harcèlement moral est défini par les articles L.1152-1 et L.1154-1 du Code du travail.

Mais c’est la Cour de cassation qui complète utilement les textes légaux en donnant aux juges du fond c’est à dire le conseil de prud’hommes et la cour d’appel les règles selon lesquelles les juges peuvent et doivent reconnaître l’existence du harcèlement moral.

Voici un résumé de ces conditions selon les règles définies en 2016 par la Cour de Cassation permettant à chacun des salariés de mieux prouver son harcèlement moral :

1. Les juges doivent apprécier les faits dans leur ensemble et non fonder leur jugement sur un seul fait pris isolément (13 janvier 2016 n°14-10824 et 18 mars 2016 n°14-18621).

Deux décisions illustrent cette condition :

La 1ère en date du 13 janvier 2016 n°14-10824 concerne un salarié ingénieur système dont le harcèlement moral n’a pas été reconnu par les juges d’appel qui considéraient que bien que des tensions existaient dans l’entreprise, que le salarié comme d’autres salariés avait été fréquemment critiqué par l’employeur et les licenciements avaient augmenté, le salarié n’établissait pas l’existence d’agissements dont il aurait été personnellement victime.

La Cour de cassation constate quant à elle que les juges n’ont pas suffisamment examiné l’ensemble des faits et relèvent par exemple que le salarié avait en outre été convoqué par ses supérieurs hiérarchiques pour des motifs inexistants ou inexacts et qu’il avait été privé de toute augmentation de salaire et primes, faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Dans la seconde décision du 18 mars 2016 n°14-18621 une salariée décoratrice d’une société de carrelage est également déboutée du harcèlement moral évoqué.
Les juges d’appel considéraient que ni le retard de paiement d’indemnités journalières non perçues et reversées directement par l’employeur ni le refus de l’employeur de faire bénéficier la salariée du stage demandé, ni une unique agression verbale ne constituaient un harcèlement alors que l’employeur établissait être en difficulté financière.

De la même manière que dans la 1ère décision, la Cour de Cassation condamne cette interprétation des faits en indiquant que d’autres éléments n’ont pas été pris en compte tels que les documents médicaux produits par l’intéressée, l’ensemble des faits justifiés par la salariée laissant présumer l’existence du harcèlement moral évoqué.

2. Les juges doivent apprécier l’existence du harcèlement moral sans tenir compte de l’intention de son auteur (20 janvier 2016 n°14-23322).

Malgré un véritable mal être ressenti par le salarié, la cour d’appel avait écarté tout harcèlement moral car selon eux l’intention malveillante de l’employeur n’était pas prouvée par le salarié.
Les juges d’appel en concluaient que l’employeur avait agi dans le cadre de son pouvoir de direction certes de manière autoritaire et mal ressenti par le salarié mais sans que puissent être caractérisés des faits de harcèlement moral.

La Cour de cassation en décide autrement et rappelle que « le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel» (20 janvier 2016 n°14-20322).

4. Les juges doivent juger les actes de harcèlement moral peu important la courte période durant laquelle les faits se sont déroulés (21 janvier 2016 n°14-22203)

Ainsi en a-t-il été jugé à l’égard d’un directeur commercial harcelé du 20 avril 2011 au 09 mai 2011 (astreint subitement au respect d’exigences très précises de l’employeur dont calendriers prévisionnels, rapports de visite de terrain, validation de ses déplacements, présences exigées sur le terrain, accusés réception des courriels, et d’un tout aussi soudain avertissement disciplinaire du 09 mai 2011).

La cour n’y voyait là aucun harcèlement mais :
« un profond désaccord (de l’employeur) avec la demande de rupture amiable de la relation de travail (qu’il interprétait comme) la volonté (du salarié) de ne plus travailler correctement pour la société (l’employeur ayant) entendu dès lors accroître son contrôle, il ne peut être considéré, compte tenu de la courte période durant laquelle ils se sont déroulés, (que ces faits) étaient consécutifs d’un harcèlement moral… ».

La Cour de cassation condamne toute appréciation du harcèlement moral compte tenu de la brièveté de la période de harcèlement :
La Cour relève que les juges devaient examiner et tenir compte de l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, et ce alors même que le salarié justifiait que, postérieurement au 9 mai 2011, l’employeur « avait poursuivi ses agissements en lui adressant, alors qu’il était en arrêt de travail, de nombreux courriers comportant des accusations et des menaces »

5. En fin de compte le 1er trimestre 2016 est riche en exemples de faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral :

Il peut s’agir :

– d’un avertissement injustifié avec un document écrit de l’employeur mentionnant « récolter tous les éléments pour le virer » (28 janvier 2016 n°14-18076) ;

– d’un employeur qui ne justifierait pas avoir déféré aux préconisations du médecin du travail qui l’invitait à reconsidérer l’affection du salarié (handicapé) au poste en cause pour raisons médicales liées à son handicap (3 février 2016 n°14-26671) ;

– des propos dénigrants tenus à l’encontre du salarié couplé avec une « stratégie de découragement » envisagée à son encontre par la direction pendant ses arrêts maladies et le « retentissement de ces faits sur la santé du salarié » (3 février 2016 n°14-21566) ;

– des interventions dans le bureau de la salariée chirurgien-dentiste en présence de patients avec des accusations et des reproches invectives et des violences verbales sanctionnées par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des chirurgiens-dentistes de l’employeur (10 février 2016 n°14-13791) ;

– du non-paiement de la totalité du salaire du salarié couplé avec sa mise en congé forcée d’un jour lors de la reprise de son travail à l’issue d’un arrêt maladie avec modification de son contrat de travail et altération de son état de santé constatée médicalement (2 mars 2016 n°14-23684).

Telles sont les 1ères décision rendues au 1er trimestre 2016 dont nous poursuivrons l’analyse au fur et à mesure de l’extension de cette jurisprudence protectrice des droits du salarié.

partager cet article